La Ferme du Gué Prieur : un modèle de polyculture-élevage hyper local

Isabelle Godard est diplômée en biochimie. Elle a commencé sa carrière au CNRS où elle a conduit des recherches sur l’écologie de sols tropicaux. En 2011, la chercheuse décide de complètement changer de style de vie et de reprendre la ferme familiale à Claye-Souilly, le long du Canal de l'Ourcq. Aujourd’hui, elle développe une agriculture biologique, hyper locale, basée sur les principes de la permaculture.

A : Isabelle, tu travailles dans cette ferme familiale depuis 10 ans, pourrais-tu nous raconter ton parcours : comment en es-tu venue à t’intéresser à la production agricole biologique et à t'engager dans l’alimentation durable?

I : Je suis fille d’agriculteur et j’ai grandi ici dans la commune de Claye-Souilly. Je me suis formée en biochimie et ensuite je suis partie travailler dans la fonction publique, plus précisément au CNRS en tant que technicienne de laboratoire. Pendant cette période, j’ai eu l’occasion de travailler d’abord sur la structure bactérienne et ensuite j’ai eu l'opportunité de déménager en Guyane, où je suis restée 7 ans, pour développer des recherches sur l’écologie des sols. C’est là que mon père m’a annoncé qu’il voulait partir à la retraite et il se demandait qui pouvait reprendre la ferme. 

 

À cette période j’avais déjà commencé à m'intéresser à l’alimentation durable et, de façon générale, à me demander quel type de monde je voulais laisser à mes enfants. J’ai compris qu’en m’occupant d’agriculture je pouvais à la fois améliorer mon mode de vie et construire un projet responsable d’un point de vue environnemental, avec une vraie transmission de valeurs. J’ai donc décidé de suivre une formation, d’installer les premières serres et de développer un type d’agriculture très diversifiée, hyper locale où tout est en vente directe : soit en AMAP, soit en marché ou soit à la ferme.

A : Pourrais-tu nous en dire plus sur le fonctionnement de ta ferme ?

I : La ferme développe un système d’exploitation qui vise à une relative autonomie ; les plantes nourrissent les animaux et vice versa. C’est pourquoi aujourd’hui nous développons trois activités différentes : élevage, maraîchage et une part de grandes cultures. Plus précisément, nous avons une activité d’élevage de volailles et d'engraissement d'agneaux en plein air, nous disposons d’un hectare de verger diversifié avec légumes de plein champ et des ruches. Nous exploitons également seize hectares de céréales et de luzerne en agroforesterie*. 

 

Ces trois volets composent un système composé par différents ateliers de polyculture-élevage, basé sur une complémentarité végétal-animal, dans l’esprit de ce qu’on appelle « permaculture ». Les volailles fournissent la matière organique pour les champs où poussent les céréales. Les poules, friandes d’insectes, limitent de ce fait les indésirables autour des serres et mangent les déchets de légumes et les céréales. C’est un modèle qui garantit à la fois la production la plus biologique et la plus variée possible : c’est justement cette variété qui permet d'éviter les risques sanitaires qui affectent d’habitude les monocultures et le mono-élevage de type industriel. 

A : Depuis plusieurs années tu es membre de la Confédération paysanne interdépartementale d'Île-de-France. Quel est ton constat concernant le secteur agro-alimentaire ?

I : Aujourd’hui, nous nous trouvons dans un système politique et économique qui favorise à la fois les monocultures et les grandes exploitations. En effet, le secteur agroalimentaire est dominé par la grande distribution qui demande des grandes quantités aux prix le plus bas possible. Pour minimiser les prix, il faut être extrêmement efficace. La monoculture est un système qui permet d'optimiser la chaîne de production-approvisionnement-vente d’un produit. En revanche, elle a des effets destructeurs sur les vivants : cela épuise les sols, détériore la biodiversité et comporte l’utilisation massive de produits néfastes pour notre santé. 

 

Sans surprise, toutes les recherches menées sur l’équilibre des écosystèmes ruraux soulignent la nécessité de la polyculture-élevage, un modèle qui associe, sur la même ​exploitation, plusieurs cultures et élevages. Cette logique pourrait être appliquée aussi à l'échelle d’un territoire, en créant des boucles vertueuses entre plusieurs petits producteurs spécialisés.  En revanche, elle ne fonctionne pas dans le cadre de la spécialisation géographique du système agricole d’aujourd’hui, où nous demandons à certaines régions de faire du maraîchage et d'autres de l'élevage.

“La monoculture est un système qui permet d'optimiser la chaîne de production-approvisionnement-vente d’un produit. En revanche, elle a des effets destructeurs sur les vivants : cela épuise les sols, détériore la biodiversité et comporte l’utilisation massive de produits néfastes pour notre santé. ”

A : Une volonté politique est-elle nécessaire pour tendre vers un modèle plus bénéfique ?

I : Les décisions politiques jouent un rôle crucial dans l’équilibre économique du secteur agroalimentaire car elles définissent la distribution des subventions d’exploitations, qui représentent une ressource économique fondamentale pour les producteurs agricoles. Aujourd'hui, le système de soutien est géré au niveau européen par la Politique Agricole Commune, qui attribue les subventions à la surface - autour de 200 euros pour chaque hectare - ce qui encourage la création d'exploitations toujours plus vastes. Paradoxalement, les grandes surfaces en monocultures sont celles qui peuvent majoritairement profiter du système de subventions : un maraîcher qui exploite 1 hectare de terre, va recevoir seulement 200 euro à l'année, un grand exploitant agricole qui possède 200 hectares va recevoir 40 000 euros.

 

Il y a eu un progrès sous François Hollande qui a proposé une surprime aux 50 premiers hectares. On espérait ensuite une réforme de la PAC, afin de plafonner les subventions à 100 000 euros. Cette proposition, qui aurait pu changer complètement le système en faveur des petits producteurs, n’a malheureusement pas été acceptée. 

A : Comment pourrions-nous changer le statu quo pour favoriser un type d’agriculture plus respectueuse des petits producteurs ?

I : Le plus grand pouvoir que nous pouvons exercer au niveau local est celui de nos choix de consommation. Aller se fournir directement chez un producteur local est un geste en soi très simple, mais il peut engendrer des conséquences majeures dans l'amélioration du système agro-alimentaire. En ce sens, la toute première action que nous pouvons entreprendre c’est de sensibiliser les consommateurs aux enjeux environnementaux, de santé et de gaspillage alimentaire, pour s’orienter vers un modèle agricole plus sain et soutenable. 

 

* L’agroforesterie désigne les pratiques associant arbres, cultures et/ou animaux sur une même parcelle

 

REPORTAGE PHOTO PAR STÉPHANE RUCHAUD

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